Sibylle, la fuite

Courir.
Courir plus vite, plus vite.

Ses sandales délicates en cuir se déchirent, ses pieds sont en sang. Elle ne s’arrête pas pour ramasser les clochettes d’argents qui se sont dénouées de ses chevilles.

Courir.

Elle arrache le voile de soie qui lui couvre habituellement entièrement le visage.
Les poumons en feu, les lèvres crevassées par le manque d’eau.
Respirer.

Courir.

Ses sœurs lui avaient dit de ne pas revenir, elle n’avait pas pu se résoudre à abandonner son tigre du désert. Maintenant les Hutts ont repéré sa trace sur leurs radars, elle entend les Barcs vrombir dans le désert, ils la cherchent. Ils ne laissent jamais de survivants.

Courir.

Son espoir, atteindre le shuttle d’Eisley avant qu’ils ne la trouvent, quelques heures de course, encore quelques heures. Elle trébuche sur sa robe et ses voiles, ils se déchirent, elle tombe.

Elle s’ouvre une main en tombant, une plaie profonde sur un roc aigu et regarde sa main comme si elle ne lui appartenait pas. Une petite main brune qui tremble violemment d’une terreur sans nom. Elle laisse une flaque de sang sur le roc doré de Tatooine.

Courir.

Au bord du délire à cause manque d’eau, elle aperçoit Eisley au loin, un reflet tremblant sur la Dune, peut être un mirage.
Elle court pour sauver sa vie. Elle ne regarde pas en arrière, en arrière il n’y a que la mort.

Courir.

...

Voilà Eisley.

Elle n’y arrivera pas.
Ses mains tremblent trop pour inscrire la destination sur le Data du Shuttle Ouest.
Lok.

Et les Hutts arrivent en ville, elle entend les passants courir pour se cacher, elle entend les blasters, les Barcs, les cris.

Sa main gauche saisi le poignet de sa main droite pour essayer de bloquer les tremblements. Jamais trois lettres n’ont été si longues à taper sur un terminal.


« la voilà ! »
L
« stop ou je tire ! »
O
« salope »
K

Tirs de blaster
Coulissement feutré de la porte du Shuttle.

Elle n’a plus rien.
Rien qu’un souffle de vie
Sa robe et ses voiles déchirés
Une adresse : Dark Tears
Un mot de passe : Feline, le nom de sa mère.
Deux nom : Inanna, Jancen.

Le startport de Lok. Son premier réflexe fut de courir jusqu’à la rivière pour boire. Mais arrivée sur la rive, l’eau verdâtre avait un drôle de goût que tout habitant du désert profond reconnaît …

- Bouse de Krayts, elle n’est pas potable …

Elle a encore dans les oreilles le hurlement des moteurs de Barc et les cris de haine des hommes de main des Hutts lancés à sa poursuite.

Elle relève le nez pour essayer de se repérer, trouver le Nord. Mais les étoiles et les lunes ici ne sont pas les même que sur Tatooine, elle est désorientée. Sa tête bourdonne, ses oreilles sifflent, des taches noires dansent devant ses yeux, elle doit trouver de l’eau mais elle ne peut pas s’adresser aux passants, une femme en fuite ça marque et les gens parlent. Ils parlent trop.

- Je dois trouver Dark Tears …

Jamais le nom d’une ville lui paru plus approprié.
Elle pianote sur son Data, localise Dark Tears. Elle se relève et repart, à pieds : ça n’aurait pas été prudent d’acheter un ticket de Shuttle, elle ne doit laisser aucune trace derrière elle à présent.

D’après son Data s’est ici que sa sœur l’a envoyée. Un bunker bien enterré dans le sable. Elle ne cherche même pas à trafiquer le code et plante sa lame directement dans le processeur. Ca doit être un des repères secrets de l’Organisation, elle y trouvera de l’eau et des vivres pour se cacher.

Quand elle déboule à l’intérieur, c’est pour trouver un mec qui sort de l’ascenseur, l’air furax. Sibylle ne se pose pas de questions, la trahison est son lot depuis bientôt une semaine, une de plus ou une de moins …

Elle saisit le mec par la gorge et de l’autre main appuie sa lame empoisonnée sur la carotide. Au même moment le ronron menaçant d’un sabre laser se fait entendre et elle se fige. Elle tremble trop, les taches noires dans ses yeux l’empêchent de bien voir le visage du mec, elle tient à peine sur ses jambes, ses genoux sont en blob candy.

- Lachez ça petite …

Ils s’observent, aucun d’entre eux ne baisse son arme. Après un long silence elle se décide à parler dans un « Basic » hésitant. Elle a une voix étonnamment basse, et un puissant accent des tribus du désert de Tatooine.

- Je cherche Dark Tears, je cherche quelqu’un. Et toi, qu’est ce que tu fais là, t’es qui ?

Elle roule les « R » et bute sur les syllabes.
Le mec n’a pas l’air commode, il ne lui répondra pas. Il lui demande son nom et elle ne le lui dira pas non plus. Ils ont l’air malins, chacun tenant l’autre au bout de son arme. Il va bien falloir que l’un d’entre eux se décide. Sibylle range son arme dans sa ceinture et le regarde intensément.

- Je cherche Inanna.
- A supposer que je la connaisse ... Vous lui voulez quoi ?

Le mec ne veut décidément rien lâcher et Sibylle n’est pas en position de négocier.

- C’est une amie de ma mère, Féline. Je cherche Dark Tears, je cherche un abri … je cherche Skyron Jancen.

Un silence …

- Je suis Sibylle.

Elle prononce son nom d’une étrange façon en avalant presque les deux premières syllabes pour insister sur le L final.

Le type baisse enfin son arme, son regard change, comme s’il attendait la venue de l’étrangère, comme si les noms qu’elle prononçait lui ouvraient les portes de sa maison et de sa ville.

- Ne restez pas ici, je vous installe dans mon vaisseau pour la nuit. Vous êtes en sécurité à présent.

Sibylle lui tend sa petite main mate, chargée de bijoux d’argent, des bagues à chaque doigts, des bracelets, le tout souillé de sang séché. Il la saisit, semblant à peine comprendre ce que ce geste signifie pour les gens du désert

- Le vaisseau de cet homme est un véritable palace flottant !

Hydratée, nourrie, lavée, reposée, Sibylle essaie de prendre du recul et de considérer où elle en est. Elle a besoin d’aide et Inanna n’est pas là, elle est en mission. Sibylle fait plus naturellement confiance à une femme. Elle est mal à l’aise avec un homme. D’autant plus que celui-ci la dévisage de façon fort impolie quand elle hôte son voile pour partager l’eau avec lui. Quand elle murmure une bénédiction avant de boire, il la regarde encore. Confuse, elle est sur le point de lui faire remarquer qu’il n’est pas poli de dévisager une femme, mais se rend compte que le regard de cet homme n’est pas offensant, il est débordant de curiosité bienveillante, de surprise …
Elle comprend que les coutumes de cet homme sont différentes des siennes et qu’en tant que réfugiée, c’est à elle de faire l’effort de mieux connaître sa culture.

Alors elle lève son regard clair souligné de khôl noir et l’observe. Elle voit.
Elle voit la franchise. Elle voit la bienveillance qu’il a envers elle. Elle voit aussi une part d’ombre qui le dévore, qu’il cherche à tout prix à contrôler. Cet homme a apprit à dompter ses démons et à en faire une Force. Alors elle juge cet homme digne de la confiance que les femmes de son clan ont mis en lui depuis des années.

Si elle veut qu’il lui accorde asile, il doit savoir. Et pour honorer sa dette envers lui, elle doit être franche et tout lui dire. Elle n’est pas bête : cet homme est un serviteur de l’Empire. Et Sibylle est une trafiquante. Tout les oppose. Mais il a l’esprit ouvert et il doit prendre sa décision en toute connaissance de cause.

Alors, en partageant l’eau, dévoilée devant cet inconnu, elle parle.

Son clan, presque entièrement féminin, trafique des armes slicées, des fortifiants améliorés, des renseignements sur les hauts fonctionnaires de ce gouvernement et sur ceux qui tirent les ficelle par en dessous.

Elle et son clan vivaient dans un campement bédouin, que l’on déplaçait régulièrement. Les Jawas, les Valarians et toute sorte de personnages faisaient appel à leurs services. Et les Hutt ont fini par en prendre ombrage. Chez les Hutt on n’aime pas la concurrence.

Sibylle était occupée à faire paître le troupeau et à trouver de l’eau avec son water survey device. Quand son comlink s’était mis à clignoter.

<<< FUIS, ne te retourne pas, on nous a vendues. >>>

Le campement, les familles … NON !!!! Elle ne pouvait pas abandonner ces gens !

Mais elle n’a retrouvé qu’un immense brasier. Le scan’ ne montrait plus aucun signe de vie. Alors elle s’est mise à courir. Droit devant elle, l’esprit chaviré par la douleur. Elle courait depuis quelques heures quand un faisceau de lumière balaya les dunes derrière elle. Ses yeux s’agrandirent d’horreur. On l’avait repérée, la traque commençait.

Tout en écoutant son récit, Skyron posait des questions, demandait des précisions. On voyait la colère brûler dans ses yeux quand elle parlait de ses activités au sein du clan, mais elle se devait d’être franche. S’il lui disait de partir, elle partirait. Il lui avait dors et déjà sauvé la vie, pour quelques temps du moins, en l’emmenant dans son vaisseau.

Il finit par exploser de colère. Ces guerres de gangs, ces morts ! Il fulminait littéralement. On aurait dit qu’il avait perdu quelqu’un de cher dans cet évènement et elle commençait à se demander ce qui reliait vraiment cet homme à ses sœurs …

- Et voilà bien pourquoi l’Empire est nécessaire ! Ne vois tu pas la sauvagerie, la barbarie de ces gangsters !

Il était fou furieux, et en même temps la colère semble canalisée, puissante, comme une Force intérieure. Mais contre toute attente, cet humain, touché sans doute par sa franchise, s’était mis tout naturellement à la tutoyer. Avant même qu’il le lui dise, elle sut qu’il allait l’aider, lui accorder asile et confiance.

- En échange de ta promesse de cesser toute activité illégale et de respecter nos lois, tu es ici chez toi.

Son comlink se mit à clignoter de messages de bienvenue des habitants de la ville.
Sibylle s’incline en touchant son front pour honorer cet homme et le pacte qui vient d’être passé.
Puis lui tend sa main menue couverte de bijoux d’argent. Il lui sourit.

- Sois la bienvenue Sibylle du désert